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LA TRIBUNE- L'Assemblée nationale va probablement annoncer une motion de censure ce lundi sur le budget de la Sécurité sociale. Le gouvernement pourrait être renversé mercredi après avoir lancé un premier 49-3. Quel est votre scénario ?

ERIC COQUEREL - Je suis quasiment certain que le gouvernement tombera. Il n'aura probablement pas d'autre choix que d'utiliser le 49-3 s'il veut faire passer son projet de loi, faute de majorité. La motion de censure pourrait être votée et adoptée le 4 décembre. Si la motion de censure n'est pas adoptée sur le budget de la Sécurité sociale, le budget général reviendra le 18 décembre avec une possible motion de censure le 20 décembre.

Êtes-vous favorable à une démission du chef de l'Etat, comme certains à gauche ou le rapporteur du budget, Charles de Courson (Liot), le réclament ?

Je vois deux options : soit le chef de l'Etat finit par accepter une issue politique avec un gouvernement issu du NFP capable de rassembler la plus grande coalition à l'Assemblée, soit le président devient le principal point de blocage. Je ne vois pas d'autre issue que sa démission. Cette situation ne peut pas continuer comme cela jusqu'à la prochaine dissolution en juin prochain.

En cas de censure, le Premier ministre Barnier a alerté sur un risque de « perturbations graves sur les marchés ». En face, le RN a dénoncé cette stratégie. En tant que président de la Commission des finances, que pensez-vous de la rhétorique du gouvernement ?

Je veux d'abord rappeler que le RN a repris l'idée que j'avais initiée : il n'y a pas de risque de shutdown en France. Ce n'est pas rendre service au pays de jouer les alarmistes. La situation est chaotique politiquement, car le chef de l'Etat a voulu imposer un gouvernement qui n'a pas de majorité et des troupes divisées. Cela a engendré une instabilité politique.

Sur le plan économique, c'est la politique de l'offre et de la compétitivité qui est en échec sur la réduction du déficit, l'emploi. Les licenciements reviennent et le chômage remonte. Les résultats mirobolants affichés depuis 7 ans sont factices.

Quelles pourraient être les répercussions d'une France sans budget ?

Si le budget n'est pas voté, il existe une loi spéciale, qui permet de lever des impôts et payer les fonctionnaires. Faire croire que tout va s'arrêter ne sert à rien. J'ai du mal à imaginer que cette loi spéciale ne passe pas. Le Parlement aurait intérêt à ce que les choses ne s'arrêtent pas. Cette loi spéciale n'empêche pas la discussion sur un budget en janvier avec la nomination d'un gouvernement.

Dans l'hypothèse où le gouvernement arrive à faire adopter son budget grâce au 49-3, quelles pourraient être les répercussions des 60 milliards d'euros de coupes et de hausses de la fiscalité ?

Le gouvernement a déjà fait de nombreux compromis avec le Rassemblement national (RN). Entre les concessions sur la taxation de l'électricité , les exonérations de cotisations, les budgets de certains ministères, la facture grimpe à plusieurs milliards d'euros. Ce budget ne va pas réduire les déficits.

En revanche, ce budget va avoir des conséquences sur de nombreux Français. Je pense par exemple à la baisse de l'ONDAM ( Objectif national de dépenses d'Assurance maladie) , l'indexation partielle des pensions de retraite. Certains ministères sont très affectés par la baisse de la dépense publique. Cela va avoir des conséquences sur les services publics. Sur l'environnement, le budget baisse de 16%. Cela va avoir un impact sur l'investissement. Tout ce budget va avoir un impact récessif estimé par l'OFCE à 0,8 point de croissance. Cela fait 30 milliards de cotisations et de rentrées fiscales en moins. Ce budget est injuste et économiquement nuisible.

Le gouvernement a fait quelques concessions sur la fiscalité au RN et à l'exonération de cotisations pour les députés EPR. Pensez-vous que l'objectif de déficit à 5% est toujours réaliste ?

En l'état actuel, le déficit de la France pourrait atteindre 6% en 2025, sans compter l'effet récessif.

La Commission européenne et l'agence Standard & Poor's ont néanmoins accordé un sursis au gouvernement Barnier sur le budget 2025 et sa stratégie budgétaire de moyen terme...

Ce modèle économique est en train de faire faillite en Europe. L'Allemagne a des problèmes importants qui génèrent une crise politique. La Commission européenne est obligée d'avoir de la souplesse sur la question des déficits, car le modèle craque de partout en Europe. Il faut aussi rappeler que c'est le plan initial qui a été validé. Les concessions réalisées sans aller chercher de nouvelles sources de financement rendent l'objectif de 5% très difficile. Le gouvernement Barnier est prêt à toutes les concessions avec le RN, sauf avec le NFP. Or, nous avons montré qu'il y avait bien un problème de recettes dans le pays.

La dérive du déficit à 6,1% en 2024 est « de la responsabilité du gouvernement actuel » a affirmé Bruno Le Maire. Qu'en pensez-vous ?

Je veux d'abord rappeler que Bruno Le Maire a défendu la possibilité d'un projet de loi de finances rectificative (PLFR) au printemps. Ce qui était une option pour ouvrir le débat. Mais il n'a pas eu gain de cause. La politique qu'il a menée au nom du gouvernement et d'Emmanuel Macron est quand même à l'origine des problèmes que l'on connaît. On ne peut pas dire que c'est le nouveau gouvernement qui est responsable de la situation actuelle. Sa responsabilité est davantage dans la perpétuation du macronisme.

Le gouvernement Barnier, qui est de droite, a tout de même fait une ouverture sur la hausse de la fiscalité...

Sur les 60 milliards d'euros du budget, l'effort reste supporté par la majorité des Français. Ce budget a un coût sur la vie des gens. A l'inverse, l'effort de 10 milliards d'euros demandé aux grandes entreprises et aux plus riches reste très inégal même si aux yeux des macronistes, c'est déjà trop. Les Républicains ont abandonné une partie des reproches adressés à Emmanuel Macron pendant cinq ans. Mais LR était moins à droite que le macronisme sur le plan économique et social.

 Budget : « Le gouvernement tombera »

Le rapporteur du budget (LIOT) Charles de Courson et Eric Coquerel sur les bancs de l'Assemblée nationale en octobre dernier. Crédits : Reuters.

Vous allez débuter cette semaine une commission d'enquête sur les prévisions fiscales et budgétaires à l'Assemblée nationale. Quel est le but des auditions qui vont suivre ?

L'objectif est de comprendre l'écart entre les chiffres annoncés et ceux à l'arrivée sur la croissance, le déficit et les comptes publics. Les auditions vont d'abord débuter par les responsables d'administration avant les politiques et des économistes. Si la France est considérée comme une des quinze valeurs refuges dans le monde par les marchés, c'est grâce à une administration sérieuse et un Etat fort. D'un point de vue économique, ces écarts sont problématiques. C'est aussi l'occasion de voir si la politique économique n'a pas abouti à ce tel niveau d'imprévisibilité et de telles erreurs.

Que voulez-vous dire ?

Il y a trois tendances. Les macronistes ont dit qu'ils n'y étaient pour rien et que l'erreur était d'abord technique. D'autres ont avancé l'argument de la dissimulation des politiques. Enfin, certains peuvent penser, comme moi, que ces erreurs viennent d'un aveuglement idéologique. Il y a une responsabilité des politiques à peindre un tableau optimiste.

Au printemps dernier, Bruno Le Maire expliquait que la réindustrialisation était un des plus grands succès depuis 7 ans. Or, la Cour des comptes dans un récent rapport a relativisé le bilan des 10 dernières années sur le plan industriel. On ne peut pas vraiment dire qu'il y a eu une réindustrialisation. La part des emplois industriels dans l'emploi total a baissé par exemple.

Sur le programme économique du NFP , les propositions du bloc de gauche ont été rejetées à l'Assemblée nationale. Comment expliquez-vous ce rejet ?

Ce rejet s'explique par une alliance entre le RN et le macronisme. Si vraiment c'était un échec pour le NFP, cela signifie que le gouvernement a gagné. Or, certains députés du socle commun ont voté contre le projet de budget du gouvernement. C'est la première fois dans la Ve République qu'un budget est rejeté de cette façon.

À droite et au centre, certains ont alerté sur l'impact que pourrait avoir le programme fiscal du NFP sur les entreprises. Que leur répondez-vous ?

C'est de la propagande. Le gouvernement et la macronie ont réussi à convaincre les TPE et les PME que nous allons taxer ces entreprises. Or, nous avons visé dans nos amendements les grandes entreprises qui exercent une pression sur les PME. Lors d'une récente rencontre avec des responsables de la CPME, je leur ai dit mon étonnement de leur soutien à une politique en faveur des très grandes entreprises. Ce n'est pas parce que ces grands groupes sont moins prélevés qu'ils n'exercent pas une forte pression sur les PME. Il y a sans doute des pistes à explorer sur la responsabilisation des donneurs d'ordre pour éviter les effets en cascade.

L'Assemblée nationale va lancer prochainement une commission d'enquête sur les aides aux entreprises, présidée par la députée (LFI) Aurélie Trouvé. Que proposez-vous ?

Aujourd'hui, on donne des aides aux entreprises qui distribuent des dividendes et on ne donne pas assez à celles qui sauvent des emplois. Il faut mettre en place des conditions en termes de salaires d'emploi, d'égalité salariale. Cela nécessite d'avoir un vrai Etat stratège. Or, le dernier rapport de la Cour des comptes est critique sur la politique industrielle. Il y a une critique très forte du plan France 2030 sur le saupoudrage des aides.

Certaines grandes fortunes ont également mis en garde sur les risques d'une plus grande fiscalité sur le capital et une taxation plus importante sur l'héritage. ..

Il faut rétablir l'égalité devant l'impôt. Les ultra-riches paient moins d'impôts que la majorité des Français. C'est insupportable. Sur l'héritage, il y a un consensus chez les économistes, mais les politiques qui dirigent le pays depuis 2017 sont les représentants d'une classe qui ne supporte pas d'être prélevée même à un niveau très faible.