Après les agences de notation Fitch et Moody's qui ont abaissé, en octobre dernier, la perspective de la note de crédit de la France de « stable » à « négative », la dernière agence à se prononcer, S&P Global, a décidé de maintenir à la fois la note de la France à AA- mais également de maintenir sa perspective à « stable ». C'est une surprise alors que le consensus de marché tablait sur un abaissement de la perspective de la note, à l'instar de des grandes consœurs. Il est vrai que S&P Global avait déjà rétrogradé la note de la France d'un cran en mai dernier.
Le ministre de l'Économie, Antoine Armand, s'est aussitôt félicité de la décision de S&P Global, qui « témoigne du crédit accordé au gouvernement pour réduire le déficit et redresser nos finances publiques ». Et de préciser, à l'intention de ceux qui souhaiteraient censurer le gouvernement, que « l'agence souligne toutefois le risque associé à l'incertitude politique qui viendrait remettre en cause cette trajectoire ».
Lors d'une brève conférence de presse ce samedi matin, le ministre a même rappelé que
« le seul ultimatum qui se présente vraiment aux Français, c'est celui que notre nation dispose d'un budget pour que le pays fonctionne correctement, normalement ».
En pleine crise budgétaire, et de menaces sur une censure au Parlement, ce statu quo est un soulagement pour le gouvernement, et sera sans doute perçu comme un encouragement pour le Premier ministre, Michel Barnier, à mener à bien son projet de redressement des comptes publics.
« La France reste une économie équilibrée, riche et diversifiée », explique l'agence de notation dans son communiqué. « Malgré l'actuelle instabilité politique, nous nous attendons à ce que la France se conforme - avec un certain retard - au cadre budgétaire de l'Union européenne et consolide progressivement ses finances publiques à moyen terme », ajoute-t-elle.
La France conserve donc sa note AA-, dans la catégorie investissement « haute qualité », parmi donc les meilleures signatures souveraines de la zone euro. Pourtant, sur les marchés, la France est passée dans un autre monde depuis la dissolution.
Une prime de risque qui s'envole
L'instabilité politique permanente, les dérapages successifs sur le budget - un trou de près de 100 milliards d'euros sur 2024 et 2025 par rapport aux prévisions du début d'année - et l'incapacité de la classe politique à mesurer l'ampleur du problème ont nourri de fortes tensions sur la dette française sur les marchés, avec un pic cette semaine, au lendemain d'un discours alarmiste de Michel Barnier sur les conséquences d'un vote de censure. L'écart de rendement de la dette française (à 10 ans) avec la dette allemande est même brièvement monté à 90 points de base, un plus haut depuis 2012. Selon les analystes de la Société Générale, un accord budgétaire reste l'option la plus probable, à 70 %.
« Quels que soient les scénarios, nous pensons que la fourchette des spreads (écart de taux, NDLR) de la dette française restera bien plus élevée que lors de la période pré-élections. Ce qui confirme ce que nous annoncions déjà, à savoir un changement de régime pour la dette française » , avance Ninon Bachet, stratégiste Taux chez Société Générale CIB.
Pour les quatre prochains trimestres, la banque a même sensiblement revu à la hausse ses estimations de spread OAT/Bund, qui mesure la prime de risque, de l'ordre de dix points de base, à 70 points de base pour le scénario le plus optimiste (gouvernement stable en 2025) à 110 points de base pour le scénario le plus pessimiste, à savoir la chute du gouvernement et/ou de nouvelles élections.
Stress de marché
Aujourd'hui, cet écart de rendement oscille autour de 80 points de base. Il était dans une fourchette comprise entre 50 et 60 points de base un an plus tôt. Comme le répète désormais à l'envi le gouvernement, le coût de la dette française est désormais plus élevé que celle de l'Espagne, du Portugal, et même un temps, brièvement, de celle de la Grèce. A ces niveaux de prix, la dette française se traite ainsi à des niveaux qui correspondent déjà à une notation d'un cran à deux crans inférieurs, dans une catégorie investissement de « qualité moyenne supérieure », dite « simple A », dans la grille de notation des agences.
Le stress de marché n'est pas tant dû à l'absence de budget qu'à une absence de perspective de redressement de finances publiques très dégradées. Comme le résume un observateur attentif de la situation budgétaire de la France , « il existe sur le marché une inquiétude majeure et ce n'est pas une inquiétude sur le déficit de 2025, mais bien une inquiétude sur le process, sur l'incapacité de la France à concevoir un ajustement budgétaire, qui relève presque du déni ».
Une autre planète
A ce titre, les débats parlementaires sur le budget sont surréalistes pour des opérateurs de marché ou des investisseurs. « La dégradation de la note de la France est déjà intégrée par les marchés. Ce n'est plus le sujet. Le sujet est bien que tout parte en vrille, que les marchés soient désormais convaincus qu'il n'existe plus de force de rappel pour les finances publiques, ni de perspectives pour 2025 et encore moins pour 2026 » , s'alarme un économiste influent, proche des autorités publiques. « À ce stade, l'accord budgétaire final pour 2025 n'est pas clair », note pudiquement l'agence de notation S&P dans son communiqué.
« J'ai l'impression que les politiques habitent sur une autre planète. Ou alors qu'ils ont un manque total de culture sur les ordres de grandeur en jeu. Il faut quand même leur rappeler qu'on ne va pas financer l'abrogation de la réforme des retraites en fusionnant le commissariat au plan avec France Stratégies » , s'agace un gérant, qui a été très inquiet du projet d'abrogation, bien plus d'ailleurs que sur le budget.
Au-delà d'un certain seuil
De même, les cinq milliards d'euros demandées aux collectivités locales ne représentent même pas la moitié du dérapage des finances locales sur la seule année 2024 ! Quant à l'effort proposé sur les exonérations de charges, il est presque hors sujet par rapport à l'explosion de ces mêmes exonérations depuis 2021.
La décision de S&P Global de maintenir son opinion risque paradoxalement d'être contre-productive. Après les dégradations successives, la France avait en effet réussi à maintenir son statut privilégié sur les marchés. C'est moins le cas aujourd'hui mais la tentation est toujours grande sinon de triompher, au moins de se dire qu'une fois de plus « ça passe ».
Sauf que pour les investisseurs, surtout les non-résidents, il y a toujours un principe de non linéarité : au-delà d'un certain degré d'acceptabilité, ils vendent. Les ventes nettes de dette française cet été par des investisseurs institutionnels japonais, traditionnellement friands d'OAT, a été une première alerte. « Notre sentiment global sur la dette souveraine en zone euro est que nous restons défensifs sur la France et que nous pensons que les pays périphériques vont à nouveau mieux se comporter que les pays cœur de l'Europe », rappelle Ninon Bachet.
Il y aura toujours une demande compte de l'importance de la dette française sur le marché. Mais sera-t-elle suffisante pour absorber un programme d'émission de 300 milliards d'euros sur 2025. Les premiers éléments de réponses seront attendus lors de la réouverture des adjudications des bons du Trésor en janvier.