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Enième rebondissement dans la saga du budget. « J'ai décidé de ne pas augmenter les taxes sur l'électricité », a affirmé ce jeudi au Figaro le Premier ministre, Michel Barnier, sous le coup d'une motion de censure qui risque de le renverser. Vraiment ?

En réalité, le gouvernement proposera bien d'augmenter la taxe sur la consommation d'électricité dès l'an prochain, pour la passer de 21 euros par mégawattheure (MWh) à près de 30 euros par MWh, confirme-t-on dans l'entourage du Premier ministre. Soit le niveau préalable à la crise de l'énergie de 2021 et 2022 - avant, donc, le déploiement du bouclier tarifaire - comme il était prévu à l'origine.

Mais alors, quel est le sens d'une telle déclaration ? Et pourquoi le président du Rassemblement National, Jordan Bardella, a-t-il immédiatement salué une « victoire » de son parti, « en obtenant de Michel Barnier l'annulation de la taxe de 3 milliards d'euros sur l'électricité » ?

Levée de bouclier

Il s'agit en fait d'un tour de passe-passe. Lors de la présentation de son projet de budget, le 10 novembre dernier, l'exécutif comptait rehausser drastiquement cet impôt, ou « accise », avec une fourchette comprise entre 30 et 50 euros par MWh. Si le niveau exact n'était pas arrêté, c'est parce qu'il devait dépendre de nombreux paramètres, comme la revalorisation des tarifs réseau (TURPE) ou encore l'évolution des prix de marché en fin d'année. L'accise devait donc s'ajuster en fonction, afin d'atteindre un objectif précis : une baisse de 9% en février prochain du tarif réglementé de vente de l'électricité (TRV), cette offre d'EDF encadrée par les pouvoirs publics et actualisée deux fois par an.

Mais une hausse de la fiscalité ne rime pas forcement avec une augmentation de la facture pour tous les consommateurs. En raison d'une accalmie sur les marchés, le TRV coûtera bientôt beaucoup moins cher. La stratégie du gouvernement consistait donc à augmenter les taxes sans même que le consommateur ne s'en aperçoive.

La proposition avait suscité une levée de bouclier à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Les parlementaires du Rassemblement national - mais pas que - en avaient fait une ligne rouge. Or, la majorité a aujourd'hui besoin de leur soutien pour passer son budget.

Retour au plan initial

Au pied du mur, Matignon a donc fait savoir, ce jeudi, que l'objectif ne sera plus d'atteindre une baisse de 9% du TRV, mais de 14%. Et, par là même, qu'il accepterait de moins taxer l'électricité par rapport à sa première proposition.

Il n'empêche : « La fiscalité sur l'électricité retrouvera son niveau d'avant-crise, comme c'est prévu depuis le précédent budget », précise-t-on à Matignon. Ce que le Rassemblement national qualifie de « victoire » n'est donc qu'un retour aux plans initiaux de l'exécutif, qui aboutiront d'ailleurs toujours à ce que l'électricité soit davantage taxé que le gaz (dont l'accise s'élève à 16,37 euros par MWh).

« Le gouvernement va probablement faire miroiter une hausse des taxes encore plus importante qu'avant la crise, pour finalement revenir sur l'augmentation prévue à l'origine, impopulaire, afin de la faire passer pour une victoire », imaginait déjà il y a quelques semaines un connaisseur du sujet ayant requis l'anonymat.

Flou généralisé

Sur le fond du dossier, de nombreuses zones d'ombre demeurent. A combien l'accise sur l'électricité s'élèvera-t-elle exactement ? Alors qu'elle était fixée à 32,44 euros/MWh avant 2022, le nouveau chiffre ne serait pas le même, puisqu'il faudra tenir compte de l'inflation, précise-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher.

Autre question en suspens : combien cette nouvelle accise rapportera-t-elle ? Tandis que dans le projet de budget, une taxe fixée entre 30 et 50 euros le MWh devait ramener 3 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat, faudra-t-il donc s'attendre à moins ? Pas forcément, selon Maxime de la Raudière, courtier chez Selectra : « Une hausse à 30 euros/MWh pour les ménages et 26 euros/MWh pour les entreprises aboutiraient à environ 3 milliards d'euros de recettes supplémentaires », calculait-il il y a quelques semaines.

Enfin, sera-t-il vraiment possible d'aboutir à une baisse de 14% du TRV en 2025 avec un tel rehaussement des taxes ? Le TURPE, ou tarif d'utilisation du réseau public d'électricité, devra lui aussi augmenter l'an prochain d'environ 10% afin de financer les lourds investissements que doivent réaliser les gestionnaires RTE et Enedis dans les réseaux de transports et de distribution d'électricité. Puisque l'exécutif ne savait pas, il y a encore deux semaines, de combien il fallait augmenter l'accise pour aboutir à une baisse de 9% du TRV (d'où la fourchette retenue de 30 à 50 euros/MWh), difficile de comprendre comment le gouvernement peut aujourd'hui affirmer qu'un retour au niveau d'avant-crise entraînera bien une baisse de 14% du TRV. Interrogés, ni Bercy ni Matignon ne donnent les détails du calcul à ce stade.