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Le Salon MIF Expo qui s'est tenu à Paris début novembre a démontré l'intérêt (les organisateurs revendiquent plus de 100.000 visiteurs), voire l'amour pour l'habillement et les produits textiles produits dans l'Hexagone. Pourtant, seuls 3,3% des vêtements achetés en France chaque année sont réellement issus de filières françaises, selon l'observatoire économique de l'IFM, l'Institut français de la mode.

Comment expliquer un tel écart ? La réponse tient en un mot : le prix. Un facteur décisif pour le consommateur, dont le pouvoir d'achat a été mis à mal par l'inflation, le conduisant à privilégier les opérations promotionnelles, comme le Black Friday qui a lieu vendredi 29 novembre.

Les initiatives de textile made in France - particulièrement sur le segment de l'habillement - sont désormais confrontés à un défi de taille : devenir accessible, en réduisant leurs coûts. Et ce, dans un contexte de concurrence exacerbée par la folle  croissance de la fast fashion, portée par des marques comme Shein .

« L'enjeu principal du made in France, c'est bel et bien sa compétitivité, avec une attention particulière sur le coût du travail. C'est tout le débat sur l'impôt de production. Mais l'énergie est aussi un sujet, alors que sur le papier la France a un avantage concurrentiel incroyable », s'agace Olivier Ducatillion, le président de l'Union des industries textiles, qui regroupe 2.400 entreprises et 62.000 salariés (dont la filière du textile technique).

À l'image de la désindustrialisation qu'a connue la France pendant le début du XXIe siècle, l'industrie manufacturière du textile est passée de 400.000 salariés en 1991 à un peu plus de 100.000 en 2018, à en croire une étude de l'Insee. « Entre 1996 et 2015, elle a perdu 51% de sa production, 40% de sa valeur ajoutée et 66% de ses effectifs salariés », selon l'institut.

« Le textile est un métier manuel, la variable d'ajustement économique est donc le coût de la main-d'oeuvre pour être compétitif (...). Tout l'enjeu maintenant pour l'habillement made in France est d'être accessible », confirme Guillaume Gibault, le fondateur du Slip Français.

Se défaire de l'étiquette haut de gamme

Fondée en 2011, cette société qui conçoit des sous-vêtements masculins made in France s'est attaquée au marché avec une pièce à 40 euros l'unité. Son chiffre d'affaires a atteint les 20 millions d'euros au début des années 2020.

« Mais depuis 2022, en raison d'un contexte économique difficile, nous voyons notre chiffre d'affaires diminuer de 10% par an. Il n'y a pas un marché infini pour le slip haut de gamme. Il faut le vendre moins cher », constate l'entrepreneur. Sa solution ? Automatiser le procédé de production.

Le Slip Français a ainsi investi dans un outil, à hauteur de 15.000 euros. Il lui permet de fermer automatiquement la ceinture du slip, opération jusqu'alors manuelle. Le tout, dans une nouvelle unité de production en région parisienne qui regroupe 30 collaborateurs (sur un total de 70). L'entreprise, qui travaille avec 40 fournisseurs français de matières premières et autant de confectionneurs hexagonaux, doit vendre 400.000 pièces à 29 euros l'unité en 2024 pour envisager un avenir serein.

« Aucune entreprise en France n'avait cette machine. Nous sommes en train d'acquérir la troisième. C'est un risque important, mais nous démontrons qu'il y a des solutions pour made in France par l'automatisation », se réjouit Guillaume Gibault qui dispose désormais d'une capacité de production de 12.000 produits par semaine.

L'habillement, doit sortir de cette image d'un produit haut de gamme et inaccessible pour une majorité de consommateurs. Cette image est aussi partagée par les consommateurs étrangers, comme le démontre une récente enquête d'opinion commandée par CCI France .

« Le textile français a été sauvé par le luxe, il faut le reconnaître, mais cela nous a enfermé dans ce positionnement d'un produit haut de gamme. Nous avons abandonné toute une partie de la filière, celle capable de faire des produits à des prix abordables. Or, l'idée que le coût du travail en France fait le prix est totalement fausse ! Nous pouvons être compétitifs avec un circuit de distribution très court. Nous sommes trois fois moins cher en distribution que certaines marques. Et ce que nous économisons sur cette partie marketing et distribution, nous l'investissons dans le made in France », expose Thomas Huriez, le fondateur et PDG de la marque de jeans fabriqués en France 1083 qui tente de rétablir un écosystème textile autour de sa société.

L'entrepreneur dit produire 50.000 jeans totalement made in France par an, avec une partie de la production internalisée, pour un prix de vente de 99 à 159 euros. Cette stratégie lui permet de réaliser huit millions d'euros de chiffres d'affaires (60% depuis son site internet). Une performance industrielle réalisée avec la compétence d'une centaine de collaborateurs, dont la moitié est dédiée à la production.

« Nous avons la chance d'avoir encore des écoles textiles en France, il faut valoriser ces métiers. Nous nommons 'opérateur' une multitude de métiers dans les usines, c'est un certain manque de respect... », souligne le dirigeant.

L'empreinte environnementale, bouée de sauvetage ?

S'il est question d'offre jusqu'à présent, la demande fait aussi partie de l'équation. Beaucoup des acteurs du made in France croyaient en l'opportunité des Jeux Olympiques 2024 pour que la commande publique soit un accélérateur de croissance. À l'heure du bilan, la déception domine.

« Les JO, c'est un échec alors que l'objectif c'était que 20% des besoins en textile soient fournis localement, en France. La filière a besoin de la commande publique, davantage que de subventions », appelle Olivier Ducatillion de l'Union des industries textiles.

« On accuse souvent l'Europe de tous les maux, mais il y a un véritable sujet autour de la commande publique pour nos entreprises. L'industrie a besoin de visibilité et ces marchés peuvent le permettre. Les pouvoirs publics ne l'ont pas encore compris », tacle de son côté Thomas Huriez. Le gouvernement, par l'intermédiaire de Marc Ferracci, ministre de l'Industrie, est dans l'attente d'un rapport dédié, avant de changer sa doctrine en la matière.

« Le textile fabriqué en France est au mieux sur un plateau, au pire sur une phase de décroissance. Ce qui peut le sauver c'est la législation autour de l'empreinte environnementale, mais cela prendra du temps », observe Olivier Ducatillion.

En ce sens, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, était en déplacement à l'Institut Fançais de la mode, à Paris, ce jeudi matin. Objectif : lancer la dernière consultation publique sur le dispositif visant à informer les consommateurs du coût environnemental de leurs achats. « L'affichage du coût environnemental (sur les étiquettes, NDLR) permettra à terme aux Français de savoir rapidement si le produit qu'ils souhaitent acheter est plus ou moins vertueux écologiquement », souligne son ministère.

« La France veut être en avance sur ce sujet et l'appliquer dès 2025. Si l'affichage français est accompagné d'une certaine forme de bonus-malus financier, ça sera très intéressant pour la filière (...). L'Europe avance en parallèle sur son propre affichage environnemental. Il y a des discussions sur les modes de calcul. Mais la méthode européenne prévoit de favoriser le vêtement en polyester, autrement dit la fast-fashion et non pas le coton bio ou la laine, matières sur lesquelles est positionnée la filière française », avertit Guillaume Declair, cofondateur de la marque Loom et du mouvement En Mode Climat,  qui participe aux travaux français sur le sujet.

Enfin, reste l'épineux dossier du crédit d'impôt collection (CIC), un soutien fiscal de 40 millions d'euros menacé dans le projet loi de finances (PLF) 2025. Cet outil fiscal bénéficie principalement aux PME de la filière textile en France et encourage à l'innovation. « C'est le seul argument de compétitivité qui nous reste dans notre secteur pour la France ! », s'inquiète le président de l'Union des industries textiles dont 80% des adhérents en bénéficient. Verdict dans les jours à venir.